Après des années de domination française, le vin espagnol se hisse au sommet de l'indice viticole le plus important
Ribera del Duero, la région espagnole où des domaines comme Vega Sicilia produisent des grands crus. — © getty
Dans la liste annuelle des 100 domaines viticoles ayant obtenu les meilleurs résultats commerciaux, un domaine espagnol occupe pour la première fois la première place. Cela reflète une tendance plus large. « Bordeaux et la Bourgogne rencontrent des difficultés. »
Bruno Vanspauwen
En 2000, deux traders passionnés de vin, le Britannique James Miles et l'Australien Justin Gibbs, ont eu l'idée de commercialiser le vin comme des actions : via une plateforme boursière. Ils ont établi leur entreprise à Londres, le centre financier de l'Europe, et l'ont appelée Liv-Ex : « London International Vintners Exchange ». Sur cette plateforme, des milliers de vins sont échangés quotidiennement à des prix qui, comme pour les actions, fluctuent en fonction de l'offre et de la demande.
Chaque année, Liv-Ex publie une « Power 100 List » des domaines ayant obtenu les meilleurs résultats sur la plateforme. Au départ, 90 % des vins échangés étaient français, dont 70 % de Bordeaux, ce qui donnait à cet indice une forte dominance française. Mais une nouvelle ère semble s'ouvrir. Car, en se basant sur les performances de l'année écoulée – une augmentation de 324 % du volume commercialisé et de 310 % de la valeur des ventes – un domaine espagnol s'est emparé de la première place : Vega Sicilia. En deuxième et troisième positions figurent des domaines italiens, tandis que treize domaines français ont complètement disparu du top 100.
Symbole national
« Ce que La Romanée-Conti est pour la France, Vega Sicilia l'est pour l'Espagne », déclare Wim Vanleuven de La Buena Vida, le distributeur flamand du domaine en Belgique. « Pour les Espagnols, c'est un symbole national. Le roi visite régulièrement le domaine, et d'autres visiteurs sont rarement acceptés. »
L'histoire du domaine remonte à 1864, lorsque l'homme d'affaires espagnol Don Eloy Lecanda y Chaves importa 18 000 « plantes exotiques » de Bordeaux : des cépages comme le cabernet sauvignon et le merlot. « Il a été le premier à prouver qu'on pouvait produire de grands crus dans cette région, la Ribera del Duero », explique Vanleuven.
Mais la famille Lecanda a rencontré des difficultés financières, et le domaine a été vendu à plusieurs reprises. En 1982, il a été racheté par la famille Alvarez, l'une des familles les plus riches d'Espagne. David Alvarez, professeur de mathématiques, a construit en une génération un gigantesque groupe de services, Grupo Eulen, qui emploie 100 000 personnes en Espagne et en Amérique latine dans des secteurs tels que le nettoyage, la sécurité, l'intérim et le jardinage. Il a investi 25 millions d'euros dans Vega Sicilia et, sous la direction de l'un de ses fils, a ramené le domaine au sommet.
Bouteilles des années 60
« Avoir beaucoup d'argent est un avantage si vous envisagez de produire l'un des meilleurs vins du monde », explique Vanleuven. « Vous n'avez pas besoin de viser la vente rapide ; vous avez le temps. » Ainsi, le grand vin Unico, élaboré à partir des cépages tempranillo (le cépage espagnol par excellence) et cabernet sauvignon, passe dix ans dans les caves de Vega Sicilia avant d'être commercialisé. Il n'y en a que 100 000 bouteilles par millésime.
« Unico est distribué en petites allocations dans 150 pays, dont la Belgique », déclare Vanleuven. « Mais certaines années, lorsqu'ils ne sont pas satisfaits à 100 % de la qualité des raisins, il n'y a pas d'Unico produit. Cela garantit que le vin reste toujours rare sur le marché mondial, ce qui explique en partie les prix élevés. » Une bouteille d'Unico du millésime 2014 coûte, par exemple, 430 euros.
Les raisins de tempranillo sont récoltés dans la Ribera del Duero. — © getty
Mais qualitativement, ce vin de prestige porte bien son nom : « Unico est l'exemple parfait d'un vin qui allie puissance et finesse, une caractéristique réservée aux grands vins de ce monde. Mais ce n'est pas un vin à boire jeune : il a besoin de temps pour se révéler pleinement. Unico peut également être conservé très longtemps ; des vins des années 60 et 70 sont encore étonnamment vifs aujourd'hui. » Selon le site de La Buena Vida, une bouteille d'Unico du millésime 2014 sera à son apogée entre 2036 et 2043.
Le vin comme investissement
Outre Vega Sicilia, deux autres domaines espagnols figurent dans le top 100 de Liv-Ex : Dominio de Pingus, également de la Ribera del Duero, et López de Heredia de Rioja.
La Power List de Liv-Ex met en lumière des tendances du marché du vin basées sur des chiffres, mais elle reflète également une tendance où des acheteurs fortunés considèrent les grands crus comme un investissement. Non pas pour les boire, mais pour les revendre plus tard à un prix plus élevé. Comme pour les actions, ce prix peut atteindre des sommets, jusqu'à ce qu'il finisse par redescendre.
C'est ce qui arrive aujourd'hui à de nombreux vins français. « La Bourgogne a subi de lourds revers sur le marché », déclare Vanleuven. « Et les grands noms de Bordeaux sont en difficulté depuis un certain temps. »
Les 20 meilleurs du Power 100 Wine List
1. Vega Sicilia, Ribera del Duero, Espagne
2. Gaja, Piémont, Italie
3. San Guido, Toscane, Italie
4. Joseph Drouhin/Drouhin-Vaudon, Bourgogne, France
5. Château d’Yquem, Sauternes, France
6. Henri Boillot, Bourgogne, France
7. Château Mouton-Rothschild, Bordeaux, France
8. Penfolds, Australie
9. Domaine Leroy, Bourgogne, France
10. Château Cheval Blanc, Bordeaux, France
11. E. Guigal, Rhône, France
12. Domaine Leflaive, Bourgogne, France
13. Château Latour, Bordeaux, France
14. Dom Pérignon, Champagne, France
15. Roagna, Piémont, Italie
16. Château Margaux, Bordeaux, France
17. Bouchard Père et Fils, Bourgogne, France
18. Giuseppe Rinaldi, Piémont, Italie
19. Faiveley, Bourgogne, France
20. Giacomo Conterno, Piémont, Italie